Article paru dans le numéro 75

Les métiers de la coutellerie


PROFESSION : Façonneur de manches

Le livre des métiers rédigé vers 1260 par le prévôt de Paris, Etienne Boileau, à la demande de Saint Louis, recense toutes les règles des corporations de l’époque. On y distingue les couteliers faiseurs de manches, des fèvres couteliers. Qu’est devenue cette profession de fabricants de manches, de nos jours ?

 

« Quiconque veut être coutelier à Paris, c’est-à-dire faiseur de manches de couteaux, d’os et de bois et d’ivoire, et faiseur de peignes d’ivoire, et emmancheurs de couteaux, peut l’être franchement (sans acheter le métier au roi, contrairement au fèvre coutelier qui paye pour pouvoir exercer ce métier), pour tant qu’il œuvre en respectant les us et coutumes du métier ».

 

Dans ce préambule au règlement des faiseurs de manches, on retrouve un certain nombre d’éléments qui vont éclairer notre visite des établissements Eric Muzard et Besson SARL, à Thiers. (Cf. vidéos).

 

Un très beau spécimen de corne présenté par Éric Muzard qui nous prouve la recherche de qualité qui est celle de l’entreprise.


Une profession en complète transformation.

Il n’est pas de couteau sans manche (sauf cas très exceptionnel, par exemple les griffes de Fred Perrin). On devrait donc être en présence d’une industrie florissante, eu égard à la quantité phénoménale de couteaux de toutes sortes vendus dans le monde, le couteau de poche ne représentant qu’une très faible proportion des couteaux vendus[1]. Et pourtant, cette activité est en déclin. Les raisons sont multiples. Elles tiennent, entre autres, à l’apparition des couteaux de table « monobloc » qui ont connu un développement rapide à partir des années cinquante. Le manche et la lame sont fabriqués tout en métal. Une seconde évolution technique a précipité le déclin du manche traditionnel : il s’agit des manches en plastique[2] surmoulés sur le couteau. De nombreuses entreprises se sont équipées de presses à injecter pour fabriquer les manches de couteaux et surtout de couverts de table.

Fort heureusement, certaines gammes de produits, en particulier de couteaux de poche, comportent encore des côtes façonnées. Et dans ce domaine, l’innovation et la recherche de nouveaux produits sont quasiment sans limites.

 

Tradition et modernité.

Les établissements Eric Muzard sont représentatifs de cette double appartenance. Fils et petit-fils de travailleurs de la coutellerie thiernoise, Eric suit une formation technique dans un lycée professionnel thiernois et son premier emploi lui permet de devenir chef d’atelier dans une entreprise de plasturgie. On se rapproche du manche de couteau. Une opportunité de reprise d’une entreprise de fabrication de manches se présente à lui. L’opération n’ira pas jusqu’à son terme, mais elle lui donne la conviction que son avenir professionnel se trouve dans ce secteur d’activité. Ses rencontres avec de vieux « cacheurs » de manches le confortent dans cette opinion. En 1989, il crée donc sa propre entreprise de façonneur de manches, dans les hauts faubourgs de Thiers, à Granetias. Par un tropisme bien connu dans la montagne thiernoise, son entreprise va glisser le long de la pente et il est désormais établi dans une usine moderne, dans la plaine, au pied de Thiers. L’entreprise qui compte huit personnes, dont cinq se consacrent à la production, a reçu le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant). Ce label d’Etat peut « être attribué à toute entreprise qui détient un patrimoine économique, composé en particulier d’un savoir-faire rare, renommé ou ancestral, reposant sur la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité et circonscrit à un territoire ». Ce label témoigne, entre autres, de la contribution de l’entreprise au maintien d’un métier et de savoir-faire liés à un territoire, permettant ainsi de maintenir un bassin d’emplois et de compétences.

Chaudière pour teinter les manches en bois (Fabrique Navarron).

 

Un parc de machines adaptées : du classique au moderne.

De son passage au lycée technique, Eric Muzard a conservé l’intérêt et les compétences pour la maintenance, l’adaptation, la transformation et la création de machines. La fabrication de manches se rapproche assez de celle de la tournerie tabletterie. On y retrouve des matières premières et des machines assez semblables ; scies à rubans, tours à reproduire, presses, machines à poncer, touret à polir et lustrer … De même qu’au Moyen-Âge on distinguait le fèvre-coutelier et le coutelier faiseur de manches, la législation actuelle ne raccroche pas le fabricant de manches à la coutellerie, mais à une catégorie un peu fourre-tout : autres activités manufacturières.

Pour mettre en œuvre ce parc de machines, l’entreprise peut compter sur une main d’œuvre qualifiée recrutée localement et formée, pour une bonne part, en interne. On recherche plutôt la stabilité de l’effectif, la capacité d’adaptation et d’initiative et surtout le souci de la qualité, plus que des gains de productivité.

La corne chauffée est mise sous presse pour être aplatie (Eric Muzard).

A comparer avec la presse à vis d'une des vidéos.

Lors de la visite de l’atelier, on  a le regard attiré par quelques machines particulières. Une scie circulaire à 2 lames parallèles permet de découper les plaquettes de corne et de les éjecter du chariot de sciage. (Cf. vidéos) Servie par un opérateur, sa capacité de production atteint plus d’un millier de plaquettes par jour. Une autre machine, dont l’outil de travail peut être une bande abrasive ou un jeu de fraises selon le matériau et la forme à réaliser, fabrique des manches pleins ou des côtes. La technique est celle de la reproduction d’un modèle en trois dimensions qui sert de guide à l’outil de travail (bande abrasive ou fraise). Un palpeur suit les contours du modèle et fait exécuter à l’outil de travail le mouvement nécessaire à la reproduction du modèle. La machine à tailler ou creuser les sabots du début du 20ème siècle travaillait également sur ce principe[3]. La modernité a fait son entrée dans l’entreprise à travers une machine laser qui permet des opérations de découpe et de marquage. De la taille d’un gros photocopieur professionnel, elle est facile à mettre en œuvre. Grâce à cette machine, il est possible de réaliser des découpes de côtes en petites séries, présentant des particularités techniques ou des formes complexes. On peut insérer des parties en corne dans des plaquettes en bois, grâce à des découpages très précis, graver des logos ou des marques dans le bois, la corne, afin de personnaliser des séries de manches ou de les convertir en supports publicitaires.

 

La machine laser servant à la découpe et au marquage de plaquettes (Eric Muzard).


Le travail de la corne.

L’entreprise livre aux couteliers des produits bruts, semi-finis ou finis. La corne constitue le plus important volume de matière première animale traitée. La corne présente une partie pleine, à la pointe, sur environ un tiers de sa longueur. Cette partie est utilisée pour réaliser des couteaux plein manche ou des côtes de forte épaisseur. Les deux autres tiers sont creux[4] et se présentent donc sous la forme d’un cône qu’il va falloir découper et développer pour fabriquer des côtes plates. Après sciage du cône on obtient des trapèzes légèrement incurvés qui vont être poncés à la bande abrasive pour enlever la couche superficielle altérée et atteindre la couche de corne plus dense et homogène. La corne est un matériau malléable, à chaud. Autrefois, le « cacheur » la ramollissait dans de l’eau chaude puis la passait au-dessus d’une flamme. Il pouvait alors la déformer et même la mouler. On pouvait ainsi obtenir directement une côte mise en forme sans usinage. Les inconvénients de cette pratique étaient de plusieurs ordres. La corne était trop chauffée et quasiment brûlée. Par ailleurs, le pressage à chaud dans un moule, avec des zones d’écrasement, contribuait à séparer les différentes couches de kératine qui constituent la corne. Au bout de quelque temps, les côtes en corne se délitaient et de grosses écailles se détachaient, avec parfois un regonflement des parties écrasées par le moule. La technique utilisée actuellement ne vise pas à obtenir une côte moulée mais une plaquette dans laquelle sera usinée par ponçage ou fraisage, une côte qui n’aura pas subi de déformation et d’écrasement. D’abord chauffée pour lui donner une certaine plasticité, la corne voilée est placée sous une presse qui va l’aplatir. Après refroidissement, elle conservera cette planéité. Il ne restera plus qu’à déligner les plaquettes à la scie circulaires à deux lames parallèles et à les calibrer en épaisseur. Ce calibrage s’effectue sur un disque à poncer à plat. La plaquette calibrée pourra alors être livrée au coutelier ou être mise en forme par la machine à reproduire.

Exemples de découpages et gravures laser. Réalisation de côtes bi-matières (Eric Muzard).

 

Une grande variété de produits travaillés.

Tout, ou presque peut devenir manche de couteau, pour peu qu’il se présente sous une forme solide : métaux, bois, matières animales, végétales, du plus commun au plus rare, du plus banal au plus insolite. Titane, matériaux composites, peau de raie[5], lave volcanique[6], baculum[7] de morse … la liste est inépuisable.

Une illustration de la grande variété de matières d’origine animale traitées par l’entreprise (Eric Muzard).

Si pour les établissements Muzard la corne, de zébu ou de buffle, constitue les plus gros volumes, de nombreux autres produits végétaux ou animaux sont utilisés. Sans que la liste soit exhaustive, on travaille des bois de cerf, de la corne de bélier, d’antilope, des défenses de phacochère, de l’ivoire fossile, de l’os de chameau ou de girafe, de l’ambre, des bois locaux ou plus ou moins précieux : olivier, bruyère, citronnier, bubinga, cocobolo, ébène, amourette …etc.

 

Un enjeu majeur : l’approvisionnement en matériaux bruts.

Parmi les métiers de la coutellerie, le fabricant de manches est sans doute celui pour lequel la question de l’approvisionnement est la plus cruciale. Compte tenu de l’extrême diversité des matériaux traités, les fournisseurs sont très nombreux. Les cornes de vaches européennes ne se trouvent plus, du fait des changements intervenus dans les techniques d’élevage. Il faut donc se tourner vers l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud pour trouver de bons approvisionnements, aussi bien en quantité qu’en qualité. Autant de continents, de pratiques commerciales avec lesquelles il faut composer. Le fabricant de manches doit, de plus, affronter deux écueils : celui de la réglementation et celui de la concurrence dans l’achat des matières brutes. Le développement économique exponentiel de la Chine et ses moyens financiers quasi sans limites en font un concurrent redoutable en matière d’approvisionnement. Capables d’acquérir, puis d’utiliser, des stocks très importants mêlant le bon et le moins bon, ils évincent les acheteurs qui privilégient les achats de qualité.

Un stock de défenses de phacochères (Eric Muzard).

L’application très inégale de la réglementation concernant la protection des espèces animales et végétales menacées d’extinction  (CITES) constitue des distorsions de concurrence préjudiciables. Au niveau de la commission européenne, le durcissement du régime d’importation de produits biologiques en provenance de pays tiers[8] a également fait perdre leur agrément à de nombreux exportateurs africains de produits bruts. Là encore, une application inégale de cette réglementation contraint l’entreprise à passer par l’intermédiaire d’importateurs situés dans d’autres pays de la communauté européenne qui réalisent les opérations de dédouanement, ce qui alourdit les frais de transport et d’importation.

 

Une nécessaire diversification.

Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler pour d’autres professions, la charge de travail liée directement à la coutellerie n’est plus assez importante pour maintenir une activité pleine. Eric Muzard travaille également,  pour l’industrie du luxe et de la mode (lunetterie, instruments de musique, bijouterie, éléments décoratifs ou fonctionnels de sacs, objets de rasage manuel …). Les objets de rasage manuel (rasoirs mécaniques, blaireaux) connaissent un regain de popularité parmi une clientèle aisée. Ces produits sont exportés en grandes quantités. L’entreprise travaille en collaboration avec un célèbre fabricant de rasoirs mécaniques pour lequel elle fournit des manches en bois. Les manches de blaireau sont, quant à eux, tournés dans de la pointe de corne blonde ou noire ou dans du bois de cade.

Depuis peu, et toujours dans le cadre de la diversification de son activité, Eric Muzard a créé « Ambiance Cade[9] ». Ayant eu l’occasion de travailler le cade dans son activité de fabricant de manches, il s’est pris d’intérêt pour ce bois méditerranéen aux couleurs chaudes et naturellement parfumé. Il a ainsi développé une gamme de produits de rasage, de cosmétiques, de parfums.

Un exemple de la diversification de la production : les outils de rasage manuel (Eric Muzard).

Le travail de la corne produit également une quantité importante de déchets qui peuvent être valorisés sous forme de corne broyée. Cette corne est très appréciée des jardiniers qui s’en servent comme engrais naturel.

 

A chacun sa spécialité.

Tous les fabricants de manches travaillent à peu près les mêmes matières, mais selon leurs débouchés, ils peuvent privilégier l’utilisation de certaines d’entre elles.

C’est par exemple le cas de l’entreprise Besson où nous retrouvons Marie-Claire Besson. Descendante d’une famille de fabricants de manches établis à Thiers depuis soixante ans, elle nous ouvre les portes de l’entreprise située tout en haut de la vertigineuse rue Prosper Marilhat, à Thiers (où on sait bien, quand on a atteint un certain âge, voire un âge certain, qu’il y a plus de rues qui montent que de rues qui descendent).

Cette petite entreprise de trois personnes est issue d’une longue tradition de fabricants de manches qui comptaient une centaine d’entreprises, il y a une centaine d’années. Ce métier de sous traitant de la coutellerie a toujours été exercé par de petits artisans, travaillant seuls, en famille ou avec un nombre réduit de compagnons. Marie-Claire Besson a baigné dans cette atmosphère laborieuse et simple et parle avec émotion et affection de ces générations de vieux «cacheurs » de manches : son grand-père qui exerçait son activité dans les hauts quartiers de la ville, les Navarron, Angély, Begon, Morand, Tournaire … Les façonneurs de manches se comptent aujourd’hui sur les doigts des deux mains. Le grand-père Besson s’était spécialisé dans les manches pour articles haut de gamme à l’époque où on offrait encore des ménagères complètes en ébène ou en corne massive, en nacre et écailles diverses, à viroles argentées. Chaque famille possédait alors sa douzaine de couteaux de table qu’on sortait dans les grandes occasions. Cette fabrication n’a pas résisté au mode de vie moderne et aux machines à laver la vaisselle.

 

Les évolutions de la mode et des matériaux.

C’est sur le manche du couteau que peut le mieux s’exprimer la créativité du coutelier, c’est par le manche qu’il peut se distinguer de ses confrères. Les formes de lames de couteaux de tables ne sont pas très nombreuses, par contre, le manche peut donner lieu à une grande variété de formes, de matières, de couleurs, d’ornementations, de touchers … Le catalogue actuel de l’entreprise Besson compte une bonne quarantaine de formes différentes de manches. Si vous les combinez avec la cinquantaine de matériaux et de couleurs proposés, on arrive à deux mille combinaisons possibles (Cf. catalogue).

 

L’entreprise se consacre essentiellement aux manches de couteaux de table et couverts, en bois précieux, en acétate, en stamina[10], et surtout en plexiglas qui constitue sa spécialité. Mais les bois régionaux ne sont pas oubliés : olivier, pommier, noyer, même le pin douglas. Elle fabrique également, en plus faible quantité, des plaquettes ou des côtes façonnées pour des couteaux pliants.

Ancienne presse à injecter les manches en plastique en deux couleurs (Besson).

La galalithe, littéralement « pierre de lait », très utilisée dans la première moitié du vingtième siècle a été peu à peu abandonnée depuis le grand-père Besson. Les années soixante-dix ont vu apparaître les matières plastiques injectées, toujours utilisées par ailleurs. Poussée par la demande de ses clients, l’entreprise s’est alors équipée de presses à injecter qui pouvaient mouler des manches en mélangeant des plastiques de couleurs différentes. On avait ainsi la possibilité de produire des manches présentant des veinages, des marbrures. Cette activité a été abandonnée car les entreprises de coutellerie ont peu à peu intégré ces fabrications au sein de leurs usines et se sont passé des sous traitants. L’imposante presse à injecter attend sagement dans un coin de l’atelier une hypothétique reprise de service, à moins qu’elle aille rejoindre les innombrables machines désuètes qui ont terminé leur vie chez le recycleur local, les établissements Hirsch. Mais comme tous ces vieux serviteurs dont on a du mal à se séparer, et sans doute à cause de l’attachement de l’entreprise à son passé et à ses devanciers, elle demeure là, témoin immobile d’une activité abandonnée.

 

La qualité a un prix.

C’est une évidence, la qualité se paye. Et de plus en plus cher. Les bois exotiques par exemple, ont subi des augmentations très importantes en quelques années. L’ébène, par exemple, est passée de cinq euros le kilogramme à quinze euros le kilogramme en l’espace d’une dizaine d’années. A contrario, la qualité des bois précieux, a tendance à baisser. Trouver un bois d’amourette bien moucheté, une ébène uniformément noire, un bois de rose bien veiné devient compliqué. Compétition entre les acheteurs, surexploitation de la ressource ? Toujours est-il que, Pascal, qui s’occupe plus particulièrement de la partie commerciale de l’entreprise, a de plus en plus de difficultés à concilier l’exigence grandissante de sa clientèle en matière de qualité et la dégradation qualitative des bois exotiques. Il en va de même pour le plexiglas, pour lequel l’offre du marché en produit brut n’est pas très large. Tous les plexiglas ne se valent pas et Pascal traite essentiellement avec un fournisseur italien qui lui assure une belle qualité : éclat de la matière, beaux motifs de marbrure et de veinage …

Trouver de bonnes matières premières est important, mais il faut également les transformer avec soin, dans les règles de l’art, pour parvenir à un niveau de qualité supérieur. Et là, le savoir faire des personnes qui oeuvrent au sein de l’entreprise est capital. Celle-ci peut compter sur l’expérience acquise depuis trois générations, sur la culture ouvrière et technique d’un bassin d’emploi dédié depuis plusieurs siècles à la coutellerie.

 

La machine, certes, mais aussi la compétence humaine.

Le façonnage des manches se prête parfaitement à l’utilisation de machines. 

Alimentation de machine par tapis roulant. (Besson).

Il s’agit essentiellement de reproduire la forme d’un modèle déterminé. On peut y parvenir par moulage, ponçage, fraisage, tournage. On va donc trouver dans l’entreprise tous ces types de machines, à l’exception du moulage dont a vu qu’il avait été abandonné. Le niveau d’automatisation des opérations est très important. Petite revue de détail ! A côté des classiques scies circulaires destinées à débiter le bois ou le plexiglas en plaquettes ou en quillons avant leur passage dans les machines, on peut citer la façonneuse (aussi dénommé enveloppeuse), la calibreuse, la viroleuse, le tour à commande numérique, la machine à percer les manches, les cuves à vibration, les disques à poncer, les tonneaux de polissage … (Cf. vidéos). La façonneuse-enveloppeuse, dont il a déjà été question précédemment est alimentée en continu par un chargeur de type tapis roulant qui comporte un magasin de pièces à travailler de plusieurs mètres de long. La calibreuse permet de régulariser l’épaisseur des manches et plaquettes. Il s’agit d’une grosse fraise cylindrique sous laquelle passe la pièce à calibrer. Elle travaille elle aussi en continu, alimentée par un chargeur à tapis roulant. La viroleuse, comme son nom l’indique, fraise l’emplacement de la garniture métallique (virole) qui s’emmanche sur le manche des couteaux ou des couverts à la jonction du manche et de la lame. L’ajustage doit être parfait. La virole remplit un double rôle : protection du manche et décor. Le tour à commande numérique permet de fabriquer, en continu lui aussi, des manches de nature et de section variables. La dernière machine à avoir pris place dans l’atelier est l’automate permettant de percer les manches. Il travaille certes moins vite que le façonneur du siècle précédent qui était capable de réaliser certains perçages « à la volée »,  avec une grande précision, mais il a l’avantage de travailler en continu et sans relâche. (Cf. vidéos).

Tête de fraisage de la viroleuse. Le manche est amené automatiquement en face de la fraise par un système pneumatique complexe. On voit les tuyaux d’air comprimé en Rilsan (Bessson).

Il est à noter que toutes ces machines sont conçues et fabriquées localement (bassin thiernois et Sain-Etienne). C’est assez fascinant pour le profane de voir toutes ces machines travaillant dans une forme de symphonie rythmée par le bruit des mâchoires qui s’ouvrent et se ferment pour enserrer les pièces à travailler, par le claquement des clapets de fermeture et ouverture des circuits pneumatiques, par le chuintement des jets d’air comprimé, par le sifflement des fraises, par le son sec des pièces finies éjectées dans les bacs de réception …A cette musique bien réglée, il faut un chef d’orchestre. C’est Thierry, le troisième membre de l’équipe Besson SARL, qui tient la baguette. Mécanicien magicien, c’est à lui qu’on doit les alimentations automatiques en continu des diverses machines. L’habileté manuelle est encore nécessaire pour exercer le métier de façonneur, mais elle ne suffit plus, il faut un bon régleur de machines.

Cuve de tribofinition (Besson).

La qualité et la régularité sont un des atouts de l’entreprise. La finition des manches est particulièrement soignée. Différents systèmes de tribofinition sont mis en œuvre, pour le plexiglas aussi bien que pour le bois. Dans le tonneau, le ponçage se fait par rotation, alors que dans la cuve, le résultat est obtenu par vibration (Cf. site web complémentaire). Dans les deux cas, on utilise un média de polissage, par exemple de petits cubes de bois de hêtre, d’environ cinq millimètres d’arête. En utilisant d’autres additifs, on peut obtenir, dans les tonneaux, un lustrage parfait.

Tonneaux de polissage (Besson).

 

Et demain ?

Le façonneur de manches est un sous traitant soumis aux aléas et aux contraintes d’un marché de plus en plus concurrentiel. Par ailleurs, les donneurs d’ordre ont, pour la plupart, abandonné ce qui fondait la relation privilégiée entre eux et les sous traitants : la fidélité et la constance. Les sous traitants sont donc fragilisés par ce « zapping » commercial d’une économie fondée sur le court terme. Le fichier clientèle de l’entreprise s’est réduit du fait, entre autres, d’une faiblesse chronique de la demande intérieure. Pascal estime à environ 80% la part de sa production utilisée sur des articles de coutellerie et d’orfèvrerie exportés vers les Etats-Unis. Contre vents et marées, et sans ménager sa peine, notre trio maintient cette activité traditionnelle considérablement modernisée par un machinisme raisonné et maîtrisé. « Le travail, c’est l’aliment des âmes nobles » disait Sénèque, cité par Marie-Claire à la fin de notre entretien. Marie-Claire, Pascal et Thierry regrettent, tous trois, le peu de cas que l’on fait aujourd’hui du travail manuel, ce qui les laisse assez pessimistes sur le devenir du métier de façonneur de manches. Mais rien n’est immuable et l’histoire nous a habitués à des retournements de situation jugés improbables.

 

 



[1] Une étude récente sur la coutellerie thiernoise montre que le couteau de poche ne représente que 19% du chiffre d’affaires des entreprises (à côté de la coutellerie de ménage et professionnelle) et encore bien moins si on considère le nombre de pièces produites.

[2] Terme générique employé ici pour désigner une grande variété de matières devenues, au fil du temps performantes et esthétiques (polyamide ; polypropylène  ABS …)

[3] http://autrefois-les-sabots.e-monsite.com/pages/les-machines/les-machines-a-sabots-wickmans.html

[4] La partie creuse est en fait occupée par la partie osseuse de la corne.

[5] Le galuchat

[6] Manches en lave de Volvic – STHICAL – 63250 Chabreloche - http://www.sthical-coutellerie.fr/

[7] Os du pénis du morse

[8] Règlement d’exécution (UE) 1267/2011 modifiant le règlement (CE) n° 1235/2008. A la lecture du texte, on peut prendre conscience de l’extrême complexité des règlements qui compliquent singulièrement la vie des petites entreprises. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:324:0009:0022:FR:PDF

[9] Eric Muzard est l’auteur du livre « Le cade », Editions La vallée heureuse. Pour tout savoir sur l’histoire et les usages du bois de cade.

[10] Empilement de minces couches de bois déroulé, pressées, colorées et agglomérées par de la résine phénolique