Article paru dans le numéro 75 |
Le
livre des
métiers
rédigé vers 1260 par le
prévôt de Paris,
Etienne Boileau, à la demande de Saint
Louis, recense toutes les règles des corporations de
l’époque. On y distingue
les couteliers faiseurs de manches, des fèvres couteliers.
Qu’est devenue cette
profession de fabricants de manches, de nos jours ?
« Quiconque
veut être coutelier à Paris,
c’est-à-dire faiseur de manches de couteaux,
d’os et
de bois et d’ivoire, et
faiseur de peignes d’ivoire, et emmancheurs de couteaux, peut
l’être
franchement (sans acheter le
métier au roi, contrairement au fèvre coutelier
qui paye pour pouvoir exercer ce métier), pour tant
qu’il œuvre en
respectant les us et coutumes du métier ».
Dans ce
préambule au
règlement des faiseurs de
manches, on retrouve un certain nombre
d’éléments
qui vont éclairer notre
visite des établissements Eric Muzard et Besson SARL,
à
Thiers. (Cf.
vidéos).
Un
très beau spécimen de corne
présenté par
Éric Muzard qui nous prouve la
recherche de qualité qui est celle de l’entreprise.
Une profession
en
complète
transformation.
Il
n’est pas de couteau
sans manche (sauf cas très
exceptionnel, par exemple les griffes de Fred Perrin). On devrait donc
être en
présence d’une industrie florissante, eu
égard
à la quantité phénoménale
de
couteaux de toutes sortes vendus dans le monde, le couteau de poche ne
représentant qu’une très faible
proportion des
couteaux vendus[1].
Et pourtant, cette activité est en déclin. Les
raisons
sont multiples. Elles
tiennent, entre autres, à l’apparition des
couteaux de
table
« monobloc » qui ont connu un
développement rapide à partir des
années cinquante. Le manche et la lame sont
fabriqués
tout en métal. Une
seconde évolution technique a
précipité le
déclin du manche traditionnel :
il s’agit des manches en plastique[2]
surmoulés sur le couteau. De nombreuses entreprises se sont
équipées de presses
à injecter pour fabriquer les manches de couteaux et surtout
de
couverts de
table.
Fort
heureusement, certaines
gammes de produits, en
particulier de couteaux de poche, comportent encore des côtes
façonnées. Et
dans ce domaine, l’innovation et la recherche de nouveaux
produits sont
quasiment sans limites.
Tradition et
modernité.
Les établissements Eric Muzard sont représentatifs de cette double appartenance. Fils et petit-fils de travailleurs de la coutellerie thiernoise, Eric suit une formation technique dans un lycée professionnel thiernois et son premier emploi lui permet de devenir chef d’atelier dans une entreprise de plasturgie. On se rapproche du manche de couteau. Une opportunité de reprise d’une entreprise de fabrication de manches se présente à lui. L’opération n’ira pas jusqu’à son terme, mais elle lui donne la conviction que son avenir professionnel se trouve dans ce secteur d’activité. Ses rencontres avec de vieux « cacheurs » de manches le confortent dans cette opinion. En 1989, il crée donc sa propre entreprise de façonneur de manches, dans les hauts faubourgs de Thiers, à Granetias. Par un tropisme bien connu dans la montagne thiernoise, son entreprise va glisser le long de la pente et il est désormais établi dans une usine moderne, dans la plaine, au pied de Thiers. L’entreprise qui compte huit personnes, dont cinq se consacrent à la production, a reçu le label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant). Ce label d’Etat peut « être attribué à toute entreprise qui détient un patrimoine économique, composé en particulier d’un savoir-faire rare, renommé ou ancestral, reposant sur la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité et circonscrit à un territoire ». Ce label témoigne, entre autres, de la contribution de l’entreprise au maintien d’un métier et de savoir-faire liés à un territoire, permettant ainsi de maintenir un bassin d’emplois et de compétences.
Chaudière
pour teinter les manches en bois (Fabrique Navarron). |
Un parc de
machines
adaptées :
du classique au moderne.
De son passage
au lycée
technique, Eric Muzard a
conservé l’intérêt et les
compétences
pour la maintenance, l’adaptation, la
transformation et la création de machines. La fabrication de
manches se
rapproche assez de celle de la tournerie tabletterie. On y retrouve des
matières premières et des machines assez
semblables ; scies à rubans,
tours à reproduire, presses, machines à poncer,
touret
à polir et lustrer … De
même qu’au Moyen-Âge on distinguait le
fèvre-coutelier et le coutelier faiseur
de manches, la législation actuelle ne raccroche pas le
fabricant de manches à
la coutellerie, mais à une catégorie un peu
fourre-tout : autres activités
manufacturières.
Pour mettre en œuvre ce parc de machines, l’entreprise peut compter sur une main d’œuvre qualifiée recrutée localement et formée, pour une bonne part, en interne. On recherche plutôt la stabilité de l’effectif, la capacité d’adaptation et d’initiative et surtout le souci de la qualité, plus que des gains de productivité.
La corne chauffée est mise sous presse pour être aplatie (Eric Muzard). A
comparer avec la presse à vis d'une des vidéos. |
Lors de la
visite de
l’atelier, on
a le regard
attiré par quelques machines
particulières. Une scie circulaire à 2 lames
parallèles permet de découper les
plaquettes de corne et de les éjecter du chariot de sciage. (Cf. vidéos)
Servie par un
opérateur, sa
capacité de production atteint plus d’un millier
de
plaquettes par jour. Une
autre machine, dont l’outil de travail peut être
une bande
abrasive ou un jeu
de fraises selon le matériau et la forme à
réaliser, fabrique des manches
pleins ou des côtes. La technique est celle de la
reproduction
d’un modèle en
trois dimensions qui sert de guide à l’outil de
travail
(bande abrasive ou
fraise). Un palpeur suit les contours du modèle et fait
exécuter à l’outil de
travail le mouvement nécessaire à la reproduction
du
modèle. La machine à tailler
ou creuser les sabots du début du 20ème
siècle travaillait également
sur ce principe[3].
La modernité a fait son entrée dans
l’entreprise
à travers une machine laser
qui permet des opérations de découpe et de
marquage. De
la taille d’un gros
photocopieur professionnel, elle est facile à mettre en
œuvre. Grâce à cette
machine, il est possible de réaliser des découpes
de
côtes en petites séries,
présentant des particularités techniques ou des
formes
complexes. On peut
insérer des parties en corne dans des plaquettes en bois,
grâce à des
découpages très précis, graver des
logos ou des
marques dans le bois, la corne,
afin de personnaliser des séries de manches ou de les
convertir
en supports
publicitaires.
La
machine laser servant à la découpe et au marquage
de
plaquettes (Eric Muzard).
Le travail de
la corne.
L’entreprise livre aux couteliers des produits bruts, semi-finis ou finis. La corne constitue le plus important volume de matière première animale traitée. La corne présente une partie pleine, à la pointe, sur environ un tiers de sa longueur. Cette partie est utilisée pour réaliser des couteaux plein manche ou des côtes de forte épaisseur. Les deux autres tiers sont creux[4] et se présentent donc sous la forme d’un cône qu’il va falloir découper et développer pour fabriquer des côtes plates. Après sciage du cône on obtient des trapèzes légèrement incurvés qui vont être poncés à la bande abrasive pour enlever la couche superficielle altérée et atteindre la couche de corne plus dense et homogène. La corne est un matériau malléable, à chaud. Autrefois, le « cacheur » la ramollissait dans de l’eau chaude puis la passait au-dessus d’une flamme. Il pouvait alors la déformer et même la mouler. On pouvait ainsi obtenir directement une côte mise en forme sans usinage. Les inconvénients de cette pratique étaient de plusieurs ordres. La corne était trop chauffée et quasiment brûlée. Par ailleurs, le pressage à chaud dans un moule, avec des zones d’écrasement, contribuait à séparer les différentes couches de kératine qui constituent la corne. Au bout de quelque temps, les côtes en corne se délitaient et de grosses écailles se détachaient, avec parfois un regonflement des parties écrasées par le moule. La technique utilisée actuellement ne vise pas à obtenir une côte moulée mais une plaquette dans laquelle sera usinée par ponçage ou fraisage, une côte qui n’aura pas subi de déformation et d’écrasement. D’abord chauffée pour lui donner une certaine plasticité, la corne voilée est placée sous une presse qui va l’aplatir. Après refroidissement, elle conservera cette planéité. Il ne restera plus qu’à déligner les plaquettes à la scie circulaires à deux lames parallèles et à les calibrer en épaisseur. Ce calibrage s’effectue sur un disque à poncer à plat. La plaquette calibrée pourra alors être livrée au coutelier ou être mise en forme par la machine à reproduire.
Exemples
de découpages et gravures laser. Réalisation de
côtes bi-matières (Eric Muzard). |
Une grande
variété
de produits
travaillés.
Tout, ou presque peut devenir manche de couteau, pour peu qu’il se présente sous une forme solide : métaux, bois, matières animales, végétales, du plus commun au plus rare, du plus banal au plus insolite. Titane, matériaux composites, peau de raie[5], lave volcanique[6], baculum[7] de morse … la liste est inépuisable.
Une
illustration de la grande variété de
matières
d’origine animale traitées par
l’entreprise (Eric Muzard). |
Si pour les
établissements Muzard la corne, de zébu
ou de buffle, constitue les plus gros volumes, de nombreux autres
produits
végétaux ou animaux sont utilisés.
Sans que la
liste soit exhaustive, on travaille
des bois de cerf, de la corne de bélier,
d’antilope, des
défenses de
phacochère, de l’ivoire fossile, de l’os
de chameau
ou de girafe, de l’ambre, des
bois locaux ou plus ou moins précieux : olivier,
bruyère, citronnier,
bubinga, cocobolo, ébène, amourette
…etc.
Un enjeu
majeur :
l’approvisionnement en matériaux bruts.
Parmi les métiers de la coutellerie, le fabricant de manches est sans doute celui pour lequel la question de l’approvisionnement est la plus cruciale. Compte tenu de l’extrême diversité des matériaux traités, les fournisseurs sont très nombreux. Les cornes de vaches européennes ne se trouvent plus, du fait des changements intervenus dans les techniques d’élevage. Il faut donc se tourner vers l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du Sud pour trouver de bons approvisionnements, aussi bien en quantité qu’en qualité. Autant de continents, de pratiques commerciales avec lesquelles il faut composer. Le fabricant de manches doit, de plus, affronter deux écueils : celui de la réglementation et celui de la concurrence dans l’achat des matières brutes. Le développement économique exponentiel de la Chine et ses moyens financiers quasi sans limites en font un concurrent redoutable en matière d’approvisionnement. Capables d’acquérir, puis d’utiliser, des stocks très importants mêlant le bon et le moins bon, ils évincent les acheteurs qui privilégient les achats de qualité.
Un
stock de défenses de phacochères (Eric Muzard). |
L’application
très
inégale de la réglementation
concernant la protection des espèces animales et
végétales menacées
d’extinction
(CITES) constitue des
distorsions de concurrence préjudiciables. Au niveau de la
commission
européenne, le durcissement du régime
d’importation
de produits biologiques en
provenance de pays tiers[8]
a également fait perdre leur agrément
à de
nombreux exportateurs africains de
produits bruts. Là encore, une application
inégale de
cette réglementation
contraint l’entreprise à passer par
l’intermédiaire d’importateurs
situés dans
d’autres pays de la communauté
européenne qui
réalisent les opérations de
dédouanement, ce qui alourdit les frais de transport et
d’importation.
Une
nécessaire
diversification.
Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler pour d’autres professions, la charge de travail liée directement à la coutellerie n’est plus assez importante pour maintenir une activité pleine. Eric Muzard travaille également, pour l’industrie du luxe et de la mode (lunetterie, instruments de musique, bijouterie, éléments décoratifs ou fonctionnels de sacs, objets de rasage manuel …). Les objets de rasage manuel (rasoirs mécaniques, blaireaux) connaissent un regain de popularité parmi une clientèle aisée. Ces produits sont exportés en grandes quantités. L’entreprise travaille en collaboration avec un célèbre fabricant de rasoirs mécaniques pour lequel elle fournit des manches en bois. Les manches de blaireau sont, quant à eux, tournés dans de la pointe de corne blonde ou noire ou dans du bois de cade.
Depuis peu, et toujours dans le cadre de la diversification de son activité, Eric Muzard a créé « Ambiance Cade[9] ». Ayant eu l’occasion de travailler le cade dans son activité de fabricant de manches, il s’est pris d’intérêt pour ce bois méditerranéen aux couleurs chaudes et naturellement parfumé. Il a ainsi développé une gamme de produits de rasage, de cosmétiques, de parfums.
Un
exemple de la diversification de la production : les outils de
rasage
manuel (Eric Muzard). |
Le travail de
la corne produit
également une
quantité importante de déchets qui peuvent
être
valorisés sous forme de corne
broyée. Cette corne est très
appréciée des
jardiniers qui s’en servent comme
engrais naturel.
A chacun sa
spécialité.
Tous les
fabricants de manches
travaillent à peu
près les mêmes matières, mais selon
leurs
débouchés, ils peuvent privilégier
l’utilisation de certaines d’entre elles.
C’est
par exemple le cas
de l’entreprise Besson où
nous retrouvons Marie-Claire Besson. Descendante d’une
famille de
fabricants de
manches établis à Thiers depuis soixante ans,
elle nous
ouvre les portes de l’entreprise
située tout en haut de la vertigineuse rue Prosper Marilhat,
à Thiers (où on sait
bien, quand on a atteint un certain âge, voire un
âge
certain, qu’il y a plus
de rues qui montent que de rues qui descendent).
Cette petite
entreprise de trois
personnes est
issue d’une longue tradition de fabricants de manches qui
comptaient une centaine
d’entreprises, il y a une centaine
d’années. Ce
métier de sous traitant de la
coutellerie a toujours été exercé par
de petits
artisans, travaillant seuls, en
famille ou avec un nombre réduit de compagnons. Marie-Claire
Besson a baigné
dans cette atmosphère laborieuse et simple et parle avec
émotion et affection
de ces générations de vieux
«cacheurs »
de manches : son grand-père
qui exerçait son activité dans les hauts
quartiers de la
ville, les Navarron,
Angély, Begon, Morand, Tournaire … Les
façonneurs
de manches se comptent
aujourd’hui sur les doigts des deux mains. Le
grand-père
Besson s’était
spécialisé dans les manches pour articles haut de
gamme
à l’époque où on
offrait encore des ménagères complètes
en
ébène ou en corne massive, en nacre
et écailles diverses, à viroles
argentées. Chaque
famille possédait alors sa
douzaine de couteaux de table qu’on sortait dans les grandes
occasions. Cette
fabrication n’a pas résisté au mode de
vie moderne
et aux machines à laver la
vaisselle.
Les
évolutions de la mode
et des
matériaux.
C’est sur le manche du couteau que peut le mieux s’exprimer la créativité du coutelier, c’est par le manche qu’il peut se distinguer de ses confrères. Les formes de lames de couteaux de tables ne sont pas très nombreuses, par contre, le manche peut donner lieu à une grande variété de formes, de matières, de couleurs, d’ornementations, de touchers … Le catalogue actuel de l’entreprise Besson compte une bonne quarantaine de formes différentes de manches. Si vous les combinez avec la cinquantaine de matériaux et de couleurs proposés, on arrive à deux mille combinaisons possibles (Cf. catalogue).
L’entreprise se consacre essentiellement aux manches de couteaux de table et couverts, en bois précieux, en acétate, en stamina[10], et surtout en plexiglas qui constitue sa spécialité. Mais les bois régionaux ne sont pas oubliés : olivier, pommier, noyer, même le pin douglas. Elle fabrique également, en plus faible quantité, des plaquettes ou des côtes façonnées pour des couteaux pliants.
Ancienne presse à injecter les manches en plastique en deux couleurs (Besson). |
La galalithe,
littéralement « pierre de
lait », très utilisée dans la
première
moitié du vingtième siècle a
été
peu à peu abandonnée depuis le
grand-père Besson.
Les années soixante-dix ont
vu apparaître les matières plastiques
injectées,
toujours utilisées par
ailleurs. Poussée par la demande de ses clients,
l’entreprise s’est alors
équipée de presses à injecter qui
pouvaient mouler
des manches en mélangeant
des plastiques de couleurs différentes. On avait ainsi la
possibilité de
produire des manches présentant des veinages, des marbrures.
Cette activité a
été abandonnée car les entreprises de
coutellerie
ont peu à peu intégré ces
fabrications au sein de leurs usines et se sont passé des
sous
traitants.
L’imposante presse à injecter attend sagement dans
un coin
de l’atelier une
hypothétique reprise de service, à moins
qu’elle
aille rejoindre les
innombrables machines désuètes qui ont
terminé
leur vie chez le recycleur
local, les établissements Hirsch. Mais comme tous ces vieux
serviteurs dont on
a du mal à se séparer, et sans doute à
cause de
l’attachement de l’entreprise à
son passé et à ses devanciers, elle demeure
là,
témoin immobile d’une activité
abandonnée.
La
qualité a un prix.
C’est
une évidence,
la qualité se paye. Et de plus
en plus cher. Les bois exotiques par exemple, ont subi des
augmentations très
importantes en quelques années.
L’ébène, par
exemple, est passée de cinq euros
le kilogramme à quinze euros le kilogramme en
l’espace
d’une dizaine d’années. A
contrario, la qualité des bois précieux, a
tendance
à baisser. Trouver un bois
d’amourette bien moucheté, une
ébène
uniformément noire, un bois de rose bien
veiné devient compliqué. Compétition
entre les
acheteurs, surexploitation de la
ressource ? Toujours est-il que, Pascal, qui
s’occupe plus
particulièrement de la partie commerciale de
l’entreprise,
a de plus en plus de
difficultés à concilier l’exigence
grandissante de
sa clientèle en matière de
qualité et la dégradation qualitative des bois
exotiques.
Il en va de même pour
le plexiglas, pour lequel l’offre du marché en
produit
brut n’est pas très
large. Tous les plexiglas ne se valent pas et Pascal traite
essentiellement
avec un fournisseur italien qui lui assure une belle
qualité : éclat de la
matière, beaux motifs de marbrure et de veinage …
Trouver de
bonnes
matières premières est important,
mais il faut également les transformer avec soin, dans les
règles de l’art,
pour parvenir à un niveau de qualité
supérieur. Et
là, le savoir faire des
personnes qui oeuvrent au sein de l’entreprise est capital.
Celle-ci peut
compter sur l’expérience acquise depuis trois
générations, sur la culture
ouvrière et technique d’un bassin
d’emploi
dédié depuis plusieurs siècles
à la
coutellerie.
La machine,
certes, mais aussi
la
compétence humaine.
Le façonnage des manches se prête parfaitement à l’utilisation de machines.
Alimentation
de machine par tapis roulant. (Besson). |
Il s’agit essentiellement de reproduire la forme d’un modèle déterminé. On peut y parvenir par moulage, ponçage, fraisage, tournage. On va donc trouver dans l’entreprise tous ces types de machines, à l’exception du moulage dont a vu qu’il avait été abandonné. Le niveau d’automatisation des opérations est très important. Petite revue de détail ! A côté des classiques scies circulaires destinées à débiter le bois ou le plexiglas en plaquettes ou en quillons avant leur passage dans les machines, on peut citer la façonneuse (aussi dénommé enveloppeuse), la calibreuse, la viroleuse, le tour à commande numérique, la machine à percer les manches, les cuves à vibration, les disques à poncer, les tonneaux de polissage … (Cf. vidéos). La façonneuse-enveloppeuse, dont il a déjà été question précédemment est alimentée en continu par un chargeur de type tapis roulant qui comporte un magasin de pièces à travailler de plusieurs mètres de long. La calibreuse permet de régulariser l’épaisseur des manches et plaquettes. Il s’agit d’une grosse fraise cylindrique sous laquelle passe la pièce à calibrer. Elle travaille elle aussi en continu, alimentée par un chargeur à tapis roulant. La viroleuse, comme son nom l’indique, fraise l’emplacement de la garniture métallique (virole) qui s’emmanche sur le manche des couteaux ou des couverts à la jonction du manche et de la lame. L’ajustage doit être parfait. La virole remplit un double rôle : protection du manche et décor. Le tour à commande numérique permet de fabriquer, en continu lui aussi, des manches de nature et de section variables. La dernière machine à avoir pris place dans l’atelier est l’automate permettant de percer les manches. Il travaille certes moins vite que le façonneur du siècle précédent qui était capable de réaliser certains perçages « à la volée », avec une grande précision, mais il a l’avantage de travailler en continu et sans relâche. (Cf. vidéos).
Tête
de fraisage de la viroleuse. Le manche est amené
automatiquement
en face de la
fraise par un système pneumatique complexe. On voit les
tuyaux
d’air comprimé
en Rilsan (Bessson). |
Il est à noter que toutes ces machines sont conçues et fabriquées localement (bassin thiernois et Sain-Etienne). C’est assez fascinant pour le profane de voir toutes ces machines travaillant dans une forme de symphonie rythmée par le bruit des mâchoires qui s’ouvrent et se ferment pour enserrer les pièces à travailler, par le claquement des clapets de fermeture et ouverture des circuits pneumatiques, par le chuintement des jets d’air comprimé, par le sifflement des fraises, par le son sec des pièces finies éjectées dans les bacs de réception …A cette musique bien réglée, il faut un chef d’orchestre. C’est Thierry, le troisième membre de l’équipe Besson SARL, qui tient la baguette. Mécanicien magicien, c’est à lui qu’on doit les alimentations automatiques en continu des diverses machines. L’habileté manuelle est encore nécessaire pour exercer le métier de façonneur, mais elle ne suffit plus, il faut un bon régleur de machines.
Cuve
de tribofinition (Besson). |
La qualité et la régularité sont un des atouts de l’entreprise. La finition des manches est particulièrement soignée. Différents systèmes de tribofinition sont mis en œuvre, pour le plexiglas aussi bien que pour le bois. Dans le tonneau, le ponçage se fait par rotation, alors que dans la cuve, le résultat est obtenu par vibration (Cf. site web complémentaire). Dans les deux cas, on utilise un média de polissage, par exemple de petits cubes de bois de hêtre, d’environ cinq millimètres d’arête. En utilisant d’autres additifs, on peut obtenir, dans les tonneaux, un lustrage parfait.
Tonneaux
de polissage (Besson). |
Et
demain ?
Le
façonneur de manches
est un sous traitant soumis
aux aléas et aux contraintes d’un
marché de plus en
plus concurrentiel. Par
ailleurs, les donneurs d’ordre ont, pour la plupart,
abandonné ce qui fondait
la relation privilégiée entre eux et les sous
traitants : la fidélité et
la constance. Les sous traitants sont donc fragilisés par ce
« zapping » commercial
d’une
économie fondée sur le court terme. Le
fichier clientèle de l’entreprise s’est
réduit du fait, entre autres, d’une
faiblesse chronique de la demande intérieure. Pascal estime
à environ 80% la
part de sa production utilisée sur des articles de
coutellerie
et d’orfèvrerie exportés
vers les Etats-Unis. Contre vents et marées, et sans
ménager sa peine, notre
trio maintient cette activité traditionnelle
considérablement modernisée par un
machinisme raisonné et maîtrisé.
« Le
travail, c’est l’aliment des âmes nobles »
disait Sénèque, cité par
Marie-Claire à la fin de notre entretien. Marie-Claire,
Pascal
et Thierry
regrettent, tous trois, le peu de cas que l’on fait
aujourd’hui du travail
manuel, ce qui les laisse assez pessimistes sur le devenir du
métier de
façonneur de manches. Mais rien n’est immuable et
l’histoire nous a habitués à
des retournements de situation jugés improbables.
[1]
Une étude récente sur la coutellerie thiernoise
montre
que le couteau de poche
ne représente que 19% du chiffre d’affaires des
entreprises (à côté de la
coutellerie de ménage et professionnelle) et encore bien
moins
si on considère
le nombre de pièces produites.
[2]
Terme générique employé ici pour
désigner
une grande variété de matières
devenues, au fil du temps performantes et esthétiques
(polyamide ;
polypropylène
ABS …)
[3]
http://autrefois-les-sabots.e-monsite.com/pages/les-machines/les-machines-a-sabots-wickmans.html
[4]
La
partie creuse est en fait occupée par la partie osseuse de
la
corne.
[5]
Le
galuchat
[6]
Manches en lave de Volvic – STHICAL – 63250
Chabreloche -
http://www.sthical-coutellerie.fr/
[7]
Os
du pénis du morse
[8]
Règlement d’exécution (UE) 1267/2011
modifiant le
règlement (CE) n° 1235/2008.
A la lecture du texte, on peut prendre conscience de
l’extrême complexité des
règlements
qui compliquent singulièrement la vie des petites
entreprises.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:324:0009:0022:FR:PDF
[9]
Eric Muzard est l’auteur du livre « Le
cade », Editions La vallée
heureuse. Pour tout savoir sur l’histoire et les usages du
bois
de cade.
[10]
Empilement de minces couches de bois déroulé,
pressées, colorées et
agglomérées
par de la résine phénolique