Un couteau régional : l'Issoire


Les notes qui suivent n’apportent qu’un éclairage très partiel sur les couteaux « Issoire ». Vous ne trouverez notamment pas de réponse précise sur l’origine de ce couteau mais seulement une fenêtre ouverte sur une période de la coutellerie thiernoise et quelques couteliers qui ont produit ce couteau à une époque où s’est constituée, peu à peu, la notion de « couteau régional ».

  
Ces notes s’appuient en grande partie sur des documents ayant appartenu aux couteliers Thérias de Membrun (faubourg montagnard de Thiers).

 
Sur les origines du couteau.

Ce couteau ne semble pas avoir connu une diffusion aussi importante que certains autres modèles très connus.

Sur les documents Thérias consultés, on trouve une citation de couteaux « façon Issoire » en 1888. Ces couteaux ont été vendus à monsieur Vernassière, coutelier à Riom . A la même époque, Thérias commerce beaucoup avec un coutelier d’Issoire, Julien Four.

Il est vraisemblable que ce couteau a été commercialisé en premier lieu par les couteliers d’Issoire (« façon Issoire ») et qu’il était déjà assez largement connu en 1888 puisque de nombreux couteliers le demandent,  en dehors d’Issoire. Pour autant cela ne permet pas de dater plus précisément son apparition et il est encore moins question de parler de date précise de création comme on le voit faire, de manière très péremptoire,  pour le Laguiole par exemple. 

Mais il entre dans la gamme des couteaux qui  vont être marqués par leur rattachement à un territoire (Issoire, Langres, Agenais, Montpellier  …) après des dénominations qui s’appuyaient sur une particularité technique (à tête de compas, à deux clous, à virole tournante) ou sur un nom de coutelier (à la Berge, façon Chabrol, façon Dumas, façon Brossard …) ou sur un usage (charretier, cavalier, morutier …) ou dont l’origine du nom s’est complètement perdue dans la nuit des temps (ganits, liraux, briquatelles – "La coutellerie thiernoise de 1500 à 1800", Gustave Saint-Joanny).

 


Sur cette page du carnet
de commande de Thérias,
on relève également une
référence à un autre couteau
régional.
Il s'agit du "façon Brioude"
dont le modèle ne nous est pas
parvenu (sauf peut-être sous
un autre nom). Mais on peut supposer
qu'il se situe dans la lignée de l'Issoire
et de l'Yssingeaux.

 



L’Issoire (ou une forme approchante)  n’apparaît pas parmi les couteaux cités par Camille Pagé comme représentatifs de la fabrication thiernoise (page 268 ter).

 

Sur les différents modèles

Les différents déclinaisons du couteau sont  plus nombreuses que celles que nous connaissons actuellement.

En voici une liste (non exhaustive)  constituée à partir des notes du cahier des couteliers Thérias.

-          cuivre façon issoire

-          façon yssoire 2 pièces

-          façon yssoire 3 pièces cuivre

-          façon Issoire 3 pièces, scie, fer N° 2

-          façon Issoire tire-bouchon cuivre N° 3

-          façon Issoire 2 pièces fer N° 2

-          façon Issoire 2 pièces cuivre N° 3

-          façon Issoire 2 pièces, 3 mitres,  cuivre

-          façon Issoire 3 pièces tire-bouchon,

-          façon Issoire 2 pièces fer et cuivre

-          couteau Issoire 4 pièces , N° 4

-          façon Issoire 3mitres sans poinçon

 Le 3 pièces à scie présente la particularité d'avoir la lame et la scie sur le clou de tête. Les 2 pièces s'articulent chacune sur un ressort et la mouche a été séparée en 2 parties, une moitié de mouche sur chaque ressort.  (Contrairement au Rumilly dont la lame et la scie sont sur un seul ressort, ce qui ne facilite pas nécessairement l'ouverture et la fermeture du couteau)

                                                         La "lève" du ressort de scie fait apparaître la mouche séparée en 2.


Les modèles proposés comptent donc de 2 à 4 pièces, de 2 à 3 mitres et sont composés de fer et/ou de cuivre.

 

Zone de diffusion du couteau

Elle paraît restreinte : Puy-de-Dôme, Hte-Loire, nord Cantal.

On trouve des commandes émanant de couteliers d’Issoire, Brioude, Clermont-Fd,  le Puy, Massiac, Aurillac.

Mais il ne s’agit là que des clients de Thérias dans les années 1890.

 

Les fabricants thiernois d’Issoire

A part Thérias qui semble avoir été un des premiers à fabriquer ce couteau, plusieurs couteliers thiernois ont mis ce modèle (ou des modèles proches)  à leur catalogue. (Cf. en annexe quelques reproductions de pages de catalogues)

On peut citer : Thérias,  Poyet-Sivet, Chotton et plus tardivement , Besset-Jarrige,  Brossard-Daché.

 Par contre, des modèles dérivés ou approchants figurent sur de nombreux catalogues.

 

Les couteliers revendeurs de la ville d’Issoire.

Thérias a eu une clientèle fournie de couteliers sur la ville d’Issoire. :

·         Contou Jeune – Vve Contou Jean (née Tardif – patentes de 1912)

·         Monsieur Julien Four puis, à partir de 1908  Mme Veuve Julien (née Four – patentes de 1912)

·         Sannajus-Martin (sans doute successeur de la veuve Julien car domicilié à la même adresse)

·         Monsieur Chovy (1908)

·         Mme veuve Genilioux (1909)

·         Boutonnet

 

 

  

Il existe une « rue des couteliers » à Issoire mais elle ne comporte aucun vestige d’atelier ou de magasin.

Le rôle de taille de l’année 1767 fait apparaître un coutelier. Au recensement de 1836, on comptabilise 4 couteliers.. Sont-ils fabricants, revendeurs, fabricants et revendeurs ?

 
Les particularités de l’Issoire.

On peut relever un certain nombre de constantes dans ce qu’il est communément convenu d’appeler un « Issoire »

 

 

La lame :

C’est un couteau à cran forcé. La pointe de la lame est rabattue, le dessous est assez plat.

Elle présente une entablure et le talon de la lame est en biais. Elle ne poncète pas mais touche en pointe sur le ressort, une fois pliée.

Elle porte un onglage et un biseau entablé sur le dos.

La mitre de cul est à bec de corbin.

Les cotes sont en ivoire ou en os et sont ornées d’un pointillage.

Les clous sont à rosette.

 

Le manche est composé de 2 longues mitres. La plupart du temps mitres et platine sont une même pièce (Mitres et platine massives, surtout sur les vieux modèles).

Mitres-platines à deux étapes
différentes de forge.


          

La mitre de tête est très longue 

et comporte deux pans coupés caractéristiques



Le ressort comporte une mouche sans ornement.

 

Il se termine, en cul, par un renflement percé d’un trou de bélière.
La plupart des modèles comportent un très fort poinçon dont la pointe est pratiquement pyramidale. Il est dit « marchand de vin » (Voir à ce propos l’explication donnée par Marc Prival et Roger Rouquier, « L’homme et son couteau », page 83).

 
 

Une devise de la ville d’Issoire est : « Issoire, belles filles à voir, bon vin à boire » et on trouve encore autour d’Issoire quelques vignobles renommés (Boudes).

La vigne a occupé jusqu’à la moitié des superficies cultivées au début du 19ème siècle.

En 1836 on dénombre 7 bacholiers et 6 tonneliers. (Bourdin J., « Issoire. 1680-1830)

 

L’Issoire est, dans sa forme générale, assez proche d’autres couteaux diffusés dans le Massif-Central : Yssingeaux et Laguiole droit en particulier.

 
Par ailleurs des modèles très proches de l’Issoire ou de l’Yssingeaux, avec ou sans mouche, ont été fabriqués en grande quantité par la suite. On a la même déclinaison du couteau que pour le Laguiole dont un modéle plus simple et moins cher a été fabriqué sous le nom d'Aveyronnais.


 

  
 

 


Annet Thérias dans son atelier
tenant en mains un très grand couteau
de vitrine en ivoire.