Article paru dans le numéro 60

D’écaille et d’argent

 

Certaines matières utilisées en coutellerie sont devenues rares depuis la nécessaire protection des espèces sur lesquelles elles sont prélevées. L’écaille de tortue est de celles-ci et accroît donc l’intérêt que le collectionneur peut porter aux couteaux réalisés avec cette matière.

 

 

« J’en reviens à Langres qui seul mérite la suprématie. Quoi qu’il soit difficile de classer cette coutellerie fermante de luxe, nous parlerons d'abord du couteau pour homme. Il est à une ou à plusieurs pièces ; l'acier employé est l’acier fondu ; les formes sont exactes et pures, les lames étudiées et appropriées à l'usage, l’incrustation et les garnitures sans défaut apparent, les ressorts souples et bien finis, l’intérieur soigné comme l’extérieur, les platines assez  généralement en cuivre, moletées sur les bords, les manches d’épaisseur voulue, corrects et bien finis et de la solidité, voilà les caractères de ce genre. »

 Cette brassée de compliments est due à M. Gouré, coutelier à Caen qui publie, en 1837, une étude dans le Dictionnaire du Commerce et des Marchandises de Mac-Culloch. (cité par Camille Pagé, tome 4, page 738)

 

La coutellerie de Haute-Marne

La coutellerie dite « de Langres » a produit aux 18ème et 19ème siècles des couteaux de très belle facture. Les conflits internes de la profession de couteliers vont conduire à une scission au sein de la corporation et à un essaimage dans toute la région. Langres va peu à peu s’effacer devant Nogent ; mais les villages environnants verront aussi s’implanter des ateliers desquels sortiront des couteaux de grande qualité. La renommée de ce bassin coutelier est confortée par les rapports de jury des expositions régionales, nationales ou universelles qui vont se succéder tout au long du 19ème siècle. .La production de la Haute-Marne fera moins appel à la division du travail qui était la règle à Thiers à pareille époque. C’est sans doute cette organisation différente du travail et la proximité du réservoir de clientèle riche que constitue Paris qui auront favorisé l’émergence et le maintien d’une coutellerie de luxe

Par contre, l’industrialisation des processus de fabrication touchera également la fabrication de Langres et de Nogent. La coutellerie Guerre dont il va être question par la suite comptait ainsi 30 ouvriers en 1867. La production globale du bassin haut-marnais est importante et estimée à deux millions de pièces par an au début du 19ème siècle (Arthur Daguin, Nogent et la coutellerie dans la Haute-Marne, 1878).

Certains couteliers vont prendre une importance commerciale telle qu’ils vont ouvrir des magasins de vente à Paris.

Inversement, de nombreux couteliers parisiens vendent, sous leur propre marque, les productions de couteliers haut-marnais.

 

Parmi ces couteliers, certains vont avoir une notoriété particulière : Gavet, Guerre et Humblot sont de ceux-là.

 

Gavet, coutelier du Roy

Nous retrouvons le premier d’entre eux, Jean Gavet, à la fin du 18ème siècle. Il obtient  en 1757 un brevet de « coutelier du Roy ». Il tient boutique rue Croix-des-Petits-Champs à Paris et marque ses produits à « l’E couronné ». Il développe un procédé nouveau : le matriçage des manches de couteaux à l’aide d’une presse à balancier pour imiter la ciselure en relief.

François-Charles Gavet lui succède et obtient, lui-aussi, le titre de coutelier du Roi en 1782. Le magasin se trouve alors au 138 de la rue Saint-Honoré et ne changera plus de place. Un site de production est par contre maintenu en Haute-Marne.

Charles Gavet, né en 1783, fils du précédent et son successeur, put obtenir le brevet de coutelier du Roy le 14 mai 1814 et le titre de fournisseur du duc de Berry le 1er octobre de la même année (Camille Pagé). Le couteau présenté  est vraisemblablement l’œuvre de François-Charles Gavet ou de son fils.

GAVET, coutelier du roi. A « l’E couronné ». Ressort et pompe, lame argent et lame acier. Mitres en argent.

Henry-François-Charles Gavet sera le dernier représentant de la lignée. Il cède l’entreprise en 1834. Celle-ci est florissante et renommée comme le souligne ce rapport du jury de l’exposition départementale de la Seine de 1827 : «Les perfectionnements que M. Gavet n'a cessé d'introduire dans cette industrie, ont donné une grande extension à son établissement situé à Chaumont (Haute-Marne) et par là rendu de grands services à la population laborieuse dont il occupe une partie ; un autre genre de mérite de cette fabrication, c'est l'exportation à l'étranger, d'une partie de ses produits … »

 

Gavet, un coutelier novateur

Outre le matriçage des manches de couteaux, Gavet met en œuvre des techniques de pointe (trempe pyrométrique invariable, rasoir à lame de rechange …). On lui attribue également l’invention du couteau de table « à bascule ». Cette bascule est une sorte de garde qui déborde tout autour du couteau au niveau de la mitre et maintient la lame éloignée de la table, ce qui évite de salir la nappe. Le manche étant plus lourd que la lame, celle-ci est toujours tenue éloignée de la table lorsqu’on pose le couteau. C’est en quelque sorte un porte couteau fixé à demeure au niveau de la mitre

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D’écaille

Le couteau fermant de luxe de cette période fait appel à des matières précieuses telles que l’or, l’argent, la nacre, l’écaille de tortue, l’ivoire. L’écaille coûte cependant de 2 à 3 fois plus cher que l’ivoire[1].

Le couteau subit bien entendu l’influence du goût artistique de l’époque. L’apogée de l’utilisation de l’écaille en ébénisterie se situe au 18ème siècle avec en particulier les placages de marqueterie de Charles André Boule. L’application à la coutellerie viendra un peu plus tard en particulier lorsque la possibilité « d’auto-greffe » de l’écaille de tortue sera mieux connue. Cette particularité de l’écaille de se souder, sans apport de colle, par le seul fait d’une chaleur modérée va permettre l’utilisation plus massive d’une matière rare mais dont les rebuts d’usage pourront être facilement utilisés. Jean-Jacques Perret, à la fin du 18ème siècle, donne la procédure à suivre pour souder les morceaux d’écaille (Chapitre XI). Cette grande plasticité de l’écaille va également autoriser l’incrustation de filets de décoration, d’armes, de chiffres, d’écussons d’argent ou d’acier, de motifs géométriques, floraux, animaliers, parfois très compliqués et découpés par poinçonnage à l’emporte pièce dans de la feuille d’acier, d’argent ou d’or. Ce genre d’ornements peut être acheté tout prêt chez des artisans qui se sont fait une spécialité de ces petits décors découpés.

Couteau marqué « COLAS » à fines incrustations de fil d’argent plat et torsadé. Peut-être une réalisation de Victor Colas de Nogent (Arthur Daguin, Nogent et la coutellerie dans la Haute-Marne, 1878)

Le « Manuel du tourneur » paru en 1816 donne par exemple à ses lecteurs une bonne adresse pour se les procurer : « Monsieur Frichot, rue des Gravilliers à Paris, qui a porté ce genre de fabrication à une grande perfection ». Dans ce cas, les décors ne sont pas collés, ni insérés dans des évidements pratiqués sur le manche du couteau. La grande plasticité de l’écaille permet de les incruster en les plaçant au fond d’un moule, et en posant par-dessus la côte du couteau à décorer, côte préalablement préparée. L’ensemble est ensuite chauffé et mis sous presse. Les décors métalliques vont s’incruster dans l’écaille ramollie par la chaleur.

L’écaille présente par ailleurs une grande richesse de couleurs, du blond au presque noir en passant par le miel, le brun-rouge, le brun foncé. Cette matière noble et vivante atteint des effets de transparence proches du verre et une mince feuille d’or déposée sur la côte du couteau va encore accentuer, par transparence, le rendu esthétique de l’ensemble et l’aspect précieux du couteau.

L’écaille de tortue provenait essentiellement des Antilles et était prélevée sur les « tortues imbriquées » que J-J Perret désigne sous le nom qu’on lui donnait localement : « la corette » (en réalité, caret ou carette).

La surexploitation de cette espèce pour ses écailles, mais aussi pour sa viande ou ses usages dans différentes pharmacopées asiatiques a conduit à une grande raréfaction. La question écologique ne se posait pas encore dans ces temps anciens et on conserve au château de Pau une carapace de tortue qui aurait servi de berceau à Henri IV.

 

D’argent

Ce métal précieux se prête très bien à l’usage en coutellerie. Très ductile, il s’étire, se lamine, se soude facilement. Ne se ternissant pas au contact des végétaux contrairement à l’acier, il est parfait pour réaliser des lames de couteaux à fruits. Pur, il est cependant trop mou et doit être allié avec du cuivre pour lui donner une certaine dureté. Par estampage, on obtient des rosettes des coquilles, des mitres. Il présente un autre gros avantage pour le collectionneur de couteaux anciens : ses poinçons d’authentification qui permettent de dater le couteau.

Pour le couteau de Gavet présenté ici, on a un poinçon de maître dans un losange (F*EG), le poinçon de titre représentant un coq (1er  titre argent : 950 millièmes de métal fin), le poinçon de garantie (qui garantit que l’impôt sur les métaux précieux a bien été acquitté) dans le cercle.

Poinçons sur la lame d’argent du couteau de Gavet.

Ces poinçons ont été en usage du 19 juin 1798 au 1er septembre 1809. On peut donc raisonnablement penser que le couteau a été fabriqué entre ces 2 dates.

 

Anatomie d’un couteau

Argent et acier

Ce couteau de Gavet présente quelques particularités qui méritent qu’on s’y arrête un instant

Ses dimensions tout d’abord, - 13,5 cm de long - en font en grand couteau. A contrario, son épaisseur est très faible : 7 mm. Et il faut loger dans cette faible épaisseur 2 lames, une d’acier l’autre d’argent.

Un détail peut facilement échapper à première vue. La lame en argent est en réalité composite. Au niveau du talon, dans la partie qu’on ne voit pas car cachée entre les platines, la lame en argent est amincie et prise en sandwich entre 2 couches d’acier très mince qui vont constituer le talon. Ce sandwich d’argent entre 2 couches d’acier permet d’éviter une dégradation du talon qui, s’il était en argent comme le reste de la lame, s’userait rapidement à cause de la différence de dureté entre l’argent et l’acier du ressort et des platines.

C’est ce qui explique que sur de nombreux couteaux à fruits anglais en nacre et à lame d’argent, la lame ne se replie plus complètement entre les platines. Le talon, en argent et non en acier, s’est usé par des rotations répétées au contact du ressort d’acier. La géométrie de l’ensemble ressort-talon de lame s’en trouve modifiée. Un demi millimètre d’usure au talon se trouve plus que décuplé au niveau de la pointe de la lame, et celle-ci déborde largement entre les platines[2]. A contrario, c’est cette propriété qui permet de régler le « poncetage[3] » sur les couteaux qui présentent cette particularité.

 

 

Ressort plus pompe

Autre particularité des couteaux de luxe de cette époque, la lame d’acier en position ouverte est maintenue par un double système : ressort et pompe.

La performance réside en particulier dans la faible largeur du ressort (27/10èmes de mm) à l’intérieur duquel il faut faire travailler une pompe de 1 mm de large . 

La pompe est insérée dans le ressort.

Un dessin valant mieux qu’une explication embrouillée, le croquis n° 1 (voir ci-après) donne une représentation de l’ensemble et de la cinétique du système. Le talon doit présenter 2 encoches pour loger la pointe de la pompe. En position « lame ouverte », l’encoche du talon fait un crochet avec la pompe et bloque la lame. En position lame fermée, l’autre encoche permet de loger la pointe de la pompe et lui permet de glisser sans retenir la lame (Photo n° 5).

« Lève »différente du ressort et de la bascule de pompe.

On a là un couteau d’un grand raffinement technique et esthétique. Les proportions sont harmonieuses et élancées. Seul petit problème : une relative fragilité. Mais ce n’est pas un couteau de travail ou de casse-croûte !

 

Tout n’est qu’illusion

 

« Les apparences sont trompeuses », l’adage est bien connu. Prenez ce joli petit couteau en écaille à incrustations d’argent marqué « RENOULT ROUEN ». 

RENOULT ROUEN – Pompe à ressort flexible et fines incrustations d’argent.

C’est un couteau à pompe avant, classique. En regardant à l’intérieur du couteau, on aperçoit au milieu du ressort une fente transversale. C’est la marque du ressort brisé et de la lame flexible qui constitue le ressort de rappel de la pompe avant. (Cf. croquis n° 2 et 3)

 

En réalité, la pompe avant est constituée, non pas d’un ressort brisé mais d’un ressort flexible. La bosse sert de point d’appui pour courber le ressort vers l’intérieur du couteau et faire remonter le crochet de la pompe pour dégager le cran du talon de lame (Cf. croquis n° 4). Il est bien entendu nécessaire d’avoir un ressort très flexible en son milieu et donc d’une très faible épaisseur (environ 1 mm). Lorsque la pompe est enfoncée, la distance entre les 2 extrémités du ressort change puisqu’on passe d’un segment de droite à un arc de cercle. Si le ressort était maintenu sur les platines par 2 points fixes (le clou d’articulation du ressort et le clou de cul du couteau), la courbure du ressort ne pourrait pas varier. Le clou de cul traverse donc le ressort, non pas dans un trou rond ajusté au diamètre du clou, mais à travers un trou oblong d’environ 2 mm de long, ce qui permet au ressort de coulisser très légèrement entre les platines. Une observation très minutieuse de l’arrière du couteau au moment où on manœuvre la pompe permet de voir ce très léger déplacement du cul du ressort. Et le trait transversal à l’intérieur du ressort n’est qu’un artifice tracé à la lime pour laisser croire à un ressort brisé. C’est ce qu’a laissé apparaître un couteau semblable en cours de réparation entre les mains expertes de Jean-Pierre Suchéras. On obtient donc le même effet que la pompe à ressort brisé, avec moins de travail, mais avec un inconvénient : celui de la fragilité liée à la très faible épaisseur du ressort nécessaire pour le rendre très flexible. Mais il y a de quoi s’y tromper.

 

Guerre, la légion d’honneur

Une autre célèbre lignée de couteliers de Langres est celle des « Guerre ».

 

Jean-Baptiste Guerre naît en 1788 à Nogent-le-Roi (actuel Nogent). Il exercera cependant l’essentiel de son activité à Langres. La coutellerie Guerre participera à de très nombreuses expositions, régionales, nationales ou Universelles et remportera de très nombreuses médailles. A certaines époques elle sera même le seul représentant de la coutellerie langroise.

La qualité de ses présentations lui vaudra des propos élogieux de la part des rapporteurs des jurys des différentes expositions auxquelles elle participera. Celui de l’exposition de 1855 s’exprime en ces termes : 

« La maison GUERRE a exposé toutes les variétés d'articles dont se compose la coutellerie fine. C'est la perfection de sa production qui la recommande. Elle a exposé un grand nombre de couteaux pour tous les usages ; mais c'est par l'élégance et le travail exquis de ses ciseaux qu'elle se signale le plus. Impossible de rien voir de plus délicat, de plus artistiquement travaillé que cette collection de ciseaux. Le choix de la matière répond au fini de l'exécution et au goût de la forme. M.GUERRE le chef de la maison est le vétéran de cette industrie, il y paye de sa personne. Il a beaucoup produit de ses propres mains. » (Arthur Daguin, Nogent et la coutellerie dans la Haute-Marne)

 

Cette reconnaissance de la profession lui vaudra de recevoir la légion d’honneur en 1856 pour ses qualités de coutelier et d’exposant et à partir de cette date la marque de la coutellerie Guerre sera donc « la légion d’honneur ». Jean-Baptiste Guerre-Perrin meurt en 1863, mais la coutellerie Guerre continue de briller dans les annales de la coutellerie française avec Charles Guerre fils. Suivant en cela les traditions de son père, il représente la coutellerie de Langres aux Expositions de 1862, 1867, 1878, bien que la fabrication se fasse de moins en moins à Langres car Nogent supplante peu à peu l’ancienne coutellerie langroise.

La qualité des productions de l’entreprise permet l’ouverture d’un « dépôt de coutellerie de Langres », 4 rue Lafayette à Paris. (Annuaire almanach du commerce et de l’industrie - Didot-Bottin 1871-1872)

 

La Presse Langroise ne tarit pas d’éloge à l’égard de l’enfant du pays. Ainsi, l’exposition organisée à Langres en 1873 attire ce commentaire de la part du journaliste : « On trouve renfermés dans ces petites armoires vitrées une foule de chefs-d'oeuvre. L'attention se porte particulièrement sur ce nom qui est l'honneur de la coutellerie, le nom de Guerre. »

 

Les concurrents nogentais reprocheront à la maison « Guerre » de n’être qu’un négociant vendant à Paris la production des fabricants de Nogent en particulier. Cette querelle entre négociants et fabricants n’est ni nouvelle, ni le seul fait du bassin nogentais. Guerre pouvait tout de même se prévaloir d’un passé de fabricant et de nombreuses distinctions et médailles obtenues dans les nombreuses expositions auxquelles l’entreprise avait participé, parfois seule à représenter la production locale.

 

Quoi qu’il en soit les couteaux vendus sous sa marque sont eux aussi de grande qualité.

Sur ce délicat petit (8,5 cm) couteau à bouts ronds restauré il y a bien longtemps par Robert Beillonnet, la lame d’argent porte le poinçon de titre 2 (Tête de Minerve avec le chiffre 2 – 800 millièmes de métal fin) et le poinçon de maître : M*R.

GUERRE « Légion d’honneur » A LANGRES

La tête de Minerve a été utilisée après 1838, le couteau est donc postérieur  à cette date.

Sur ce couteau, le talon est également en acier. Mais cette fois-ci, le talon en acier est enté sur la lame en argent  par un montage en queue d’aronde. (Croquis n° 5)

 

Humblot

Le patronyme Humblot est très répandu en Haute-Marne et il existe depuis fort longtemps de nombreux couteliers portant ce nom.

Les archives départementales nous permettent de connaître quelques-uns de ces couteliers Humblot du passé : Didier Humblot, vers 1520, Didier Humblot, maître-coutelier baptisé à  Langres le 8/3/1643, Antoine Humblot maître-coutelier époux de Claude Degand vers 1640, Jean Humblot, maître-coutelier à Langres vers 1680, Jean Humblot, maître coutelier né à Langres le 17/11/1671, Jules  Humblot, né en 1843, coutelier à Tronchoy …

L’Almanach du Commerce, de Sébastien. Bottin de 1829 cite entre autres pour Nogent les noms de plusieurs couteliers dont Guerre et Humblot aîné, sans autre renseignement ce qui reste par trop imprécis.

Quel coutelier Humblot a fabriqué le couteau d’émigré royaliste exposé au musée de la coutellerie de Thiers et dont Isabelle et Pascal Graveline ont réalisé une réplique ? Difficile à dire. Et ce n’est pas l’inscription « Humblot Berlin » qui va nous y aider, celle-ci ayant vraisemblablement été faite pour brouiller les pistes.

Toujours est-il qu’il fait la preuve d’une grande maîtrise technique.

 

Un mariage réussi

On va trouver au milieu du 19ème siècle des couteaux sur lesquels sont associés les noms de Guerre et de Humblot avec la marque de la légion d’honneur, donc postérieurs à 1856. La finition en est toujours très soignée. Le poli des lames est parfait, l’intérieur des ressorts est également poli, les lames argent ont un talon en acier rapporté. Le plus petit d’entre eux est un onglier à 2 lames, avec une lime sur le dos.

HUMBLOT GUERRE (8,5 cm), lime sur le dos. Ressort fendu, 2 lames en cul, 1 lame en tête.

Il mesure 5,5 cm et cette petite taille en complique la réalisation. La lime et la petite lame sont axées face à face et il leur faut donc chacune un ressort. Le ressort unique du couteau se sépare en deux à l’arrière pour constituer 2 ressorts, un pour la lime, un pour la petite lame. (Croquis n° 6)

L’onglet débordant de la petite lame est typique de la fabrication de Nogent. Il est plus élégant mais aussi plus compliqué à réaliser que l’onglet en creux qu’on trouve habituellement sur les lames. Sur une lame aussi petite (3 cm) et qui dépasse aussi peu entre les platines, il est de toute façon impossible de réaliser un onglet en creux.

 
Le plus grand comporte 2 lames axées sur le même clou, une d’acier, l’autre d’argent. La lame d’argent présente elle aussi un talon en acier monté en queue d’aronde. Le couteau est  muni à l’avant de 2 très courtes mitres en argent.

HUMBLOT GUERRE « légion d’honneur », petites mitres.

 

Ce mariage des noms de Humblot et de Guerre est en fait le résultat d’un véritable mariage qui a uni le 21 juin 1857 Juliette Guerre née à Langres le 1er août 1819, fille de Jean-Baptiste Guerre, marchand de coutellerie, titulaire de la légion d’honneur, à Pierre Humblot, commis négociant, né à Illoud le 27 novembre 1831. Les mauvaises langues diront que ce mariage tardif à 37 ans de Juliette avec Pierre, âgé de 25 ans était un mariage de raison. Peut-être, encore qu’aucun contrat de mariage n’ait été signé entre les époux. Toujours est-il que la marque de la légion d’honneur apportée en dot ou par héritage par Juliette va poursuivre sa carrière associée au patronyme Humblot Guerre.

 

Une tradition de qualité maintenue

Langres va péricliter au cours du 19ème siècle et la fabrication sera reportée sur Nogent et les villages environnants. Cependant la tradition de qualité reconnue pour la production de Langres ne sera pas démentie par la « délocalisation » à Nogent. La fin du 19ème siècle et le 20ème siècle naissant vont voir apparaître des générations de couteliers haut-marnais au talent unanimement reconnu. Le concours des « Meilleurs Ouvriers de France » institué en 1924 viendra consacrer cette reconnaissance nationale. Pour se convaincre de l’exceptionnelle qualité de ce bassin de production il n’est que de consulter la liste des M.O.F. en coutellerie de l’année 1924[4]. On y relève le nom de 15 couteliers de la Haute-Marne. Ce sont les seuls à qui le titre sera décerné cette année là.

Une petite poignée de couteliers a continué, contre vents et marées, à faire vivre, jusqu’à nos jours cette tradition de qualité, faite d’écaille et d’argent mais aussi d’acier, d’ivoire, de nacre, de corne  … et de savoir-faire.

  

Michel Fervel




[1] J.J Perret, - L’Art du Coutelier, Chapitre II

[2] Pour ceux dont les souvenirs scolaires ne sont pas trop lointains, c’est le théorème de Thalès qui s’applique à cette géométrie coutelière,  ça fait mieux en le disant.

[3] La lame ne vient pas s’écraser contre le ressort lorsqu’on la lâche. C’est le cas du « Pradel » ou du « Thiers® »

[4] Florence Vidonne, les Meilleurs Ouvriers de France en coutellerie, Crépin-Leblond

CROQUIS EXPLICATIFS


                     

 
Croquis n° 1 : le système ressort et pompe du couteau de Gavet.

 

             

 Croquis n° 2 : pompe avant à ressort  brisé. Le ressort de rappel de la bascule de pompe est constitué d’une lamelle flexible tirée de la partie fixe du ressort.

 

           

Croquis n° 3 : dans des versions moins sophistiquées de pompe à ressort brisé, c’est l’arrière du ressort lui même qui tient lieu de lame flexible. Dans ce cas, la bascule de la pompe chevauche l’arrière flexible du ressort.

         

Croquis n° 4 : pompe à ressort flexible. La flexion de la lame souple du ressort permet de dégager le verrou vers le haut.

             

Croquis n° 5 : Lame en argent montée sur le talon en acier par un assemblage en queue d’aronde.

 

               

Croquis n° 6 : ressort fendu permettant de faire fonctionner 2 pièces à l’arrière et une à l’avant. (Des ressorts fendus existent également sur certains modèles de  « rouennais » par exemple, mais le ressort est fendu dans la largeur pour faire fonctionner 2 lames côte à côte à l’arrière et une à l’avant).